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La Corneille
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19 décembre 2006

Dans la luge d' A. Shopenhauer, Y. Reza

Je vous en avais parlé, je vous l'avais promis alors le voici, absurde et délicieux!!!

Je suis beaucoup plus heureux depuis que j’ai renoncé au sexe, sais-tu. Quand tu as vu de près copuler des cochons, tu ne peux plus t’illusionner sur le sexe. Dans le kibboutz où j’allais en lsraël pendant mes études de droit, j’aidais les cochons à copuler. Quand tu as vu rentrer un tire-bouchon inoffensif et ressortir une canne féroce, d’une longueur effrayant, que tu aides à replacer pendant que la truie s’en fou complètement, elle attend que ça passe, quand tu as vu le malheureux s’échauffer, déraper, ressortir avec un membre gigantesque qui ne le rend absolument pas heureux laisse-moi te le dire, qui ne lui donne pas la moindre supériorité, tu te dis à quoi rime cette comédie autour du sexe. Le sexe n’a pas de consis­tance particulière. C’est un élément du paysage. Y compris l‘ émoussement du désir avec le temps, ça fait partie du pay­sage, c’est aussi inévitable que les cheveux qui tombent ou l’arthrite, sauf que c’est moins grave que l’arthrite. Tous ces mal­heureux qui ont mis le sexe au centre, par pur effet de conditionnement. Pardonne ce vieux clicheton, mais c’est quand même mieux à l’état de désir. Arrive un âge où tu en as conscience ; si passé vingt-cinq ans tu n’as pas encore compris que c’est souvent mieux à l’état de désir, c’est que tu manques d’imagination. Avec Marie-Claude on a presque atteint le calme plat. De temps en temps une bricole mais bientôt tout ça sera derrière nous. Le samedi, on fait les boutiques. Je sers de chauffeur-accompagnateur. Ce qui paraît-il est peu fréquent. Ce sont les vendeuses qui me le disent. Je suis félicité par les vendeuses pour ma patience, et mon intérêt. En revanche mon opinion n’a d’effet qu’uni­latéralement. Marie-Claude n’achètera pas ce que je n’aime pas, mais elle n’achète pas ce que j’aime. Je n’arrive pas à lui faire acheter de la couleur. Nous sommes condamnés au beige, au gris, au noir et au bleu marine. Moi je verrais très bien Marie-Claude en vert, en rouge, pourquoi pas en jaune. Elle est svelte, elle est spor­tive. Ta femme met des couleurs, j’ai remarqué. Bravo. C’est très important la couleur, la couleur est active, elle va de l’avant, quand tu achètes un vêtement de couleur tu te projettes en couleur, tu mets en place une stratégie de joie. L’homme dynamique a une vue plus longue, il spé­cule sur l’avenir, il se propulse par-dessus la mort. Que ce soit pour une cravate ou un fonds de commerce. Je vais te faire une confidence : devant des gens qui n’ont plus envie de vivre — je ne dis pas du tout que c’est ton cas, mais admettons que tu as momentanément perdu ce qu’on appelle l’énergie vitale — je suis convaincu que tout discours est impuissant, si je com­mence à vouloir te remonter le moral, je vais me gargariser de mots qui seront autant de cautères sur une jambe de bois, cela dit honnêtement, je ne suis pas sûr que cette robe de chambre soit de nature à te remettre en selle. Pourquoi te présen­tes-tu dans cette robe de chambre ? Tu te présentes dans cette robe de chambre, qui n’est pas n’importe quelle robe de cham­bre, et que tu n’as pas choisie au hasard, tu te présentes dans ce vêtement sinistre et relâché par coquetterie inverse. Tu veux paraître laid et calamiteux. Lors de ma première visite, j’ai pensé immédiate­ment il veut paraître laid et calamiteux. Et j’ai même eu envie de rire. Seulement maintenant j’ai l’impression que tu t’es consolidé dans cette tenue, comme si ton être se réduisait à cet aspect gélatineux, sans la moindre trace de virilité ou d’éro­tisme, cette robe de chambre, l’amitié exige de le dire, t’abrutit. Et te tire vers le néant. Comme d’ailleurs, si tu veux mon avis, toute robe de chambre, la robe de

chambre est une folie, quiconque se met en robe de chambre est aspiré vers le néant, c’est comme ça, la robe de chambre est mauvaise, et peu importe sa forme, son tissu, sa couleur, Bolonerat s’est pendu en robe de chambre, Lucien Gros a eu son attaque en robe de chambre, Althusser a tué sa femme en robe de chambre, Helène étant elle-même en robe de chambre, et ainsi de suite, a moins d’être Roger Moore dans Simon Templar, la robe de chambre conduit droit à la catastrophe.

5. « Serge Othon Weil à Ariel Chipman » in Dans la luge d’Arthur Schopenhauer de Y. Reza

NB :

Bolonerat : rien trouvé de plus que la fin de ce texte en espagnol

Lucien Gros peintre il me semble...

Roger Moore pour les incultes en mon genre, une photo suffira

Roger_20Moore

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